MACRO - Les taux montent, mais jusqu'où ?

19/04/2023
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Les taux montent, mais pourquoi et jusqu’où ?

 

Les taux nuls ou négatifs avaient fini par devenir la norme. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont rebattu les cartes, ont montré les limites de la mondialisation et ont provoqué une flambée de l’inflation et une brutale hausse des taux d’intérêt.  

 


Avant que le phénomène des taux négatifs n’apparaisse sur les marchés financiers, cela aurait été perçu comme une incongruité. Mais cela avait fini par devenir la norme pour de nombreux émetteurs. Cela a été le cas pour l’Allemagne qui a pu pendant quasiment trois ans, de 2019 à 2021, emprunter à taux négatifs. On devait payer l’Allemagne pour pouvoir lui prêter ! Idem pour la France qui a pu lever de la dette à des taux négatifs ou nuls, pendant cette période. De l’autre côté de l’Atlantique, situation quasi-similaire avec des taux d’emprunts très proches de zéro pour le Trésor américain. Cette situation de taux très proches de zéro a aussi profité aux entreprises. Certaines d’entre elles ont également levé des fonds à taux nul. Depuis, la situation a radicalement changé. Cette année, le taux à 10 ans français a atteint 3.25%, le taux à 10 ans allemand près de 2.75% et aux Etats-Unis plus de 4%. Des niveaux jamais vus depuis une décennie. Autre exemple : le taux moyen d’emprunt des entreprises sur les marchés européens est aujourd’hui à 4.25%. Ce taux était quasi-nul, il y a un peu plus d’un an !

 

Qu’est-ce qui explique cette brusque remontée des taux ? Pouvons-nous craindre que cette hausse se poursuive ? 
Les niveaux atteints récemment sont–ils extravagants ? S’ils représentent des points hauts depuis une décennie, ils sont en réalité très proches de la moyenne des vingt dernières années. N’était-ce pas plutôt la situation de taux nuls qui doit être vue aujourd’hui comme une anomalie ? Qu’est-ce qui avait d’ailleurs conduit à cette situation ?  Depuis la grande crise financière de 2008-2009, paniquées par le spectre de la crise de 1929, les banques centrales ont pris l’habitude de répondre à chaque crise (petite ou grande) par des assouplissements monétaires. D’abord par des baisses de taux directeurs à zéro ou même, pour certaines, à des taux négatifs. Et si cela ne suffisait pas, par également des programmes de rachats d’actifs sur les marchés financiers (très principalement des obligations). Pour résumé : une abondance d’argent gratuit !! 
Si les grands argentiers ont pu se permettre cela, c’est grâce à l’absence d’inflation pendant de nombreuses années. La grande peur de ces derniers était la déflation. Mais en deux ans et deux chocs majeurs, la situation a radicalement changé. La crise du Covid19 a, par les confinements successifs, complétement chamboulé les chaînes de production et de logistique. Les aides étatiques reçues, ajoutées à l’épargne forcée, ont créer des déséquilibres massifs quand les ménages ont pu retrouver une vie normale. On notera que les aides étatiques ont été permises justement par l’action des banques centrales. Deuxième choc, la guerre en Ukraine puis le choc énergétique qui s’en suivi, principalement en Europe. Résultat, une inflation à deux chiffres dans la plupart des pays. Une situation jamais vue depuis les années 80 !!


Les angoisses de déflation ont été rapidement remplacées par la peur du spectre inflationniste. 
En effet, l’inflation, quand elle est hors de contrôle, altère la crédibilité de la monnaie et donc de la banque centrale. Pour éviter cela, elles n’ont donc eu d’autres choix que de faire machine arrière et de durcir drastiquement et rapidement les conditions monétaires par des relèvements de taux.  Ainsi, en moins d’un an, la BCE a porté son taux de dépôt de -0.50% à 3.00%. La Fed, aux Etats-Unis, a relevé ses taux directeurs de 475 pb. Les niveaux actuels sont des points hauts depuis près de 15 ans !
Ces durcissements monétaires ont-ils montré leur efficacité ? L’inflation est certes en recul. La hausse, en glissement annuel, est passée aux Etats-Unis de 9% à 6% et de près de 11% à 8.5% en zone Euro. Cette décrue est-elle la conséquence du changement de cap monétaire ? On peut en douter. En effet, le recul de l’inflation s’est principalement concentré sur le prix des biens et non des services. Cela est le fait de la résolution des problèmes « conjoncturels » déjà évoqués. Les tensions sur les chaînes de production ont pratiquement disparu et l’Europe a pu s’adapter à une nouvelle donne énergétique, notamment grâce à des soutiens étatiques. En revanche, l’inflation des prix des services reste, elle, très – trop - élevée. Elle s’alimente par une forte progression des salaires, conséquence de taux de chômage historiquement très bas et donc d’une capacité pour les ménages à absorber l’inflation. Pour résoudre ce problème d’inflation, il faut donc faire baisser la demande. Cela passe malheureusement par une forte détérioration de la conjoncture et une nette remontée du chômage. 
Pour faire baisser l’inflation, une récession semble probablement inévitable. 
Les hausses de taux par les banques centrales sont très significatives mais relativement récentes. On sait que les hausses de taux directeurs mettent plusieurs mois avant de se diffuser dans l’économie réelle. Justement, les dernières études sur les conditions de crédit pour les entreprises et les ménages (en Europe et aux Etats-Unis) montrent un récent mais très net durcissement.  De plus, comme nous avons pu le constater ces derniers jours, ce durcissement des conditions monétaires et financières commencent aussi à négativement impacter les banques. Les récents événements sur le secteur bancaire vont fortement renchérir leurs coûts de financement qui sera répercuter sur les prêts aux ménages et aux entreprises. Est-ce que le travail des banques centrales est terminé ? Difficile de l’affirmer mais on peut raisonnablement penser que l’essentiel est fait. 


Devons-nous nous attendre à un retour à des taux très bas ? 
Difficile d’avoir des certitudes mais on peut là aussi en douter. Pourquoi ? Cette situation de taux très bas a été l’une des conséquences d’une mondialisation sans frein depuis la fin des années 90. Cette mondialisation « heureuse » avait été permise par de l’énergie peu chère, la suppression de droits de douane, la numérisation de l’économie et une main-d’œuvre abondante. 
Depuis quelques années, les tensions commerciales se multiplient. Le vieillissement de la population dans les pays développés déséquilibre le marché du travail et la décarbonisation de l’énergie rend celle-ci plus coûteuse. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont clairement montré la fragilité de l’économie mondiale et les limites de la mondialisation. Cette mondialisation avait créé de la déflation.  On peut penser que les changements en cours soient de nature à régénérer une inflation structurelle. Les banques centrales et la cyclicité économique seront là pour s’assurer que l’inflation reste dans des bornes acceptables. Au final, un retour à un cadre de taux plus classique que celui des dix dernières années.