MACRO - Au-delà du chaos Trump, la doctrine Miran

06/05/2025
Thumbnail [16x6]

La doctrine Miran : Remodeler l’ordre mondial pour résoudre les contradictions du capitalisme américain.

Depuis son investiture le 21 janvier, le président américain, au travers de centaines de décrets, fait montre d’un activisme hors-norme qui est source de fortes incertitudes, tant géopolitiques qu’économiques. 


Sur le plan géopolitique, Trump crée la sidération. Il a exprimé – en autres - son souhait de faire du Canada le 51ème Etat américain, sa volonté d’annexer le Groenland et de prendre de contrôle du canal de Panama. La stupeur est encore montée d’un cran avec la volte-face des Etats-Unis sur le conflit russo-ukrainien. Ce chaos a d’ailleurs amené l’Allemagne a renoncé à l’orthodoxie budgétaire qui était l’un de ses marqueurs économiques les plus forts, en approuvant un plan massif d’investissement (1000 Mds €) dédié au réarmement et aux infrastructures. 
Au niveau économique, Trump après avoir multiplié les menaces de fortes augmentations des droits de douane vis-à-vis du reste du monde, est passé à l’action le 2 avril. Selon une méthodologie de calcul, laissant les économistes incrédules, la Maison Blanche a annoncé l’instauration de barrières douanières massives : 34 % de droits de douane sur les importations chinoises (s’ajoutant aux 20 % déjà imposés depuis janvier), 20 % sur celles en provenance de l’Union européenne (UE), 32 % sur Taïwan et 24 % sur le Japon. Pour toute la planète, une ponction minimale de 10 % est infligée. Jamais depuis 1930, les Etats-Unis n’avaient érigé de telles barrières. 


Depuis, ripostes par les principaux pays et volte-face de la Maison Blanche se multiplient de façon erratique. Ainsi, le président des Etats-Unis a annoncé le 9 avril, une suspension pour quatre-vingt-dix jours des mesures envisagées, à l’exception de la Chine, où les droits de douane sont portés à 145%. Finalement, le 14 avril, on apprenait que les Etats-Unis allaient exempter les smartphones et les ordinateurs des surtaxes douanières imposées à la Chine. Bref, c’est le chaos et la confusion. Les marchés financiers – comme le monde entier - redoutent maintenant que ces décisions « radicales » puissent créer des perturbations majeures pour le commerce mondial et de fait,  des conséquences très dommageables pour la croissance mondiale. 


La doctrine monétaire de Stephen Miran 
Derrière la forme confuse et brutale des décisions de Trump, il y a en réalité un fondement idéologique solide avec des racines profondes. Au niveau économique, le projet de l’actuel administration américaine est basé sur la doctrine monétaire de Stephen Miran, l’économiste de Donald Trump. Dans un article publié en novembre 2024, Miran a théorisé l’approche protectionniste du président américain sur le commerce international. Cette doctrine vise à restaurer la puissance industrielle des États-Unis en bouleversant les structures commerciales et monétaires internationales. 


Le raisonnement de Miran repose sur l’idée que dans un monde où le dollar est la monnaie de réserve, les États-Unis doivent maintenir des déficits jumeaux (commercial et budgétaire) pour satisfaire la demande mondiale d’actifs sûrs, libellés en dollars. L’appétit du reste du monde pour les actifs financiers américains, en particulier pour les bons du Trésor, crée une surévaluation chronique du dollar, ce  qui rend les importations bon marché et les exportations moins compétitives. Cela provoque la désindustrialisation, la dépendance au crédit extérieur, et creuse les inégalités géographiques et sociales internes. La situation est, pour Miran, devenue non seulement un problème économique, mais un problème de sécurité nationale : sans base industrielle solide, il est impossible de produire des biens critiques à l’effort militaire, comme l’acier, les semi-conducteurs ou les équipements pharmaceutiques.
Selon Miran, les détenteurs de réserves imposent donc un « fardeau » au secteur exportateur américain et il est donc juste que ce « fardeau » soit partagé avec les partenaires commerciaux des Etats-Unis.  L’idée générale et qu’en contrepartie de leur accès au dollar, mais aussi de la protection militaire américaine, ces partenaires doivent acheter davantage de produits américains et/ou renflouer les caisses du Trésor, par le biais de divers canaux (droits de douane, retenue d’intérêts sur les bons du Trésor américains, voire taxe de 1 % sur l’utilisation du dollar…).
Selon la plupart des économistes, la thèse de Miran n’est pas convaincante et souffre de nombreuses contradictions. Le déficit commercial américain est en fait principalement dû aux échanges de biens. S’agissant des services (tourisme, conseil, finance, brevets, logiciels, cloud, etc.), les Etats-Unis affichent au contraire, un excédent de près de 300 milliards de dollars en 2024. 
De plus, si on suit l’argumentaire de Miran, la demande excédentaire de bons du Trésor américain de la part du reste du monde devrait se traduire mécaniquement par une prime excédentaire considérable sur les obligations américaines. Les taux d’intérêt de ces obligations, mécaniquement, devraient être bien plus bas qu’ailleurs. Or, ce n’est pas le cas ! 


Pourquoi une telle demande maintient-elle le dollar à des niveaux élevés mais ne conduit-elle pas à une baisse des taux d’intérêt des obligations américaines ? 
L’explication est simple, c’est que le Congrès américain dépense à sa guise, et compte sur le reste du monde pour acheter des bons du Trésor qui viennent financer ce que les recettes fiscales ne permettent pas de couvrir. 
Cela est précisément permis par le statut de monnaie de réserve du dollar. Ce prétendu « fardeau exorbitant d’un dollar fort apporte aux Etats-Unis un énorme pouvoir sur les pays étrangers pour l’utilisation de cette monnaie. Un dollar fort nuit certes aux exportations américaines de biens mais leur assure aussi le financement de leur « train de vie ». Un dollar plus faible ne résoudrait pas nécessairement l’équation de la compétitivité industrielle américaine. En revanche, cela pourrait fragiliser le financement des déficits, sauf à contraindre les autres pays du monde à payer ce « tribut impérial ».


« le beurre et l’argent du beurre »
On peut dire de façon triviale que Stephen Miran veut pour les Etats-Unis, « le beurre et l’argent du beurre ». Bien évidemment Les autres pays ne vont pas spontanément accepter les conditions américaines. Cette acceptation doit passer par la force et la peur et c’est précisément le but des dernières décisions sur les droits de douane. Il faut créer la peur et le chaos.
C’est un jeu très dangereux auquel se livrent les Etats-Unis en ce moment. Ce rapport de force peut entrainer de graves perturbations économiques, monétaires, financières, où se mesureront les niveaux de résistance des différents pays et il n’est pas sûr que ce soit les Etats-Unis qui sortent vainqueur de ce « bras de fer ».